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Reprendre la Parole !

Patriote ALGERIEN démocrate et laïc, Républicain attaché au progrès et à la justice sociale. Farouchement jaloux de ses droits et pleinement engagé pour leur défense.

Md Benchicou : "Jusqu’où va-t-on trop loin en journalisme ? "

L’affaire Zoheïr Aït Mouhoub ou le prix de la forfaiture

 

Une répression nouvelle prend forme dans le pays, sous le silence des «amis» et l'hypocrite et lâche argumentaire de ceux qui se donnent pour devoir de couvrir le méfait du bourreau.

 

Ce Zoheïr Aït Mouhoub, disent-ils, tout journaliste à El-Watan qu’il se pique d'être, ne serait, à coup sûr, qu’un détestable non-jeûneur. Pourquoi, sinon, aurait-il été inquiété par une brigade de la police algérienne ? Chez nous, ajoutent-ils, c’est connu, on traque utile : le non-jeûneur, le Kabyle autonomiste, parfois l’amoureux surpris en flagrant délit de promenade avec sa dulcinée. Mais un journaliste ? Pensez donc ! Ici, jurent-ils, la main sur le cœur, la liberté d’expression est consacrée par la Constitution qui, comme chacun le sait, est un texte sacré qui s’impose jusqu’au président de la République.

 

Non, un simple non-jeûneur, s’obstinent-ils, voire un espion au service d’on ne sait quelle puissance étrangère ou, allez savoir, un ancien émeutier de Diar-Chems. C'est comme ce jeune Algérois, Saber Saïdi, passionné d’internet et de Facebook, arrêté «pour terrorisme». Ses proches prétendent qu'il a été incarcéré pour avoir appelé à un changement pacifique du régime sur Facebook. Encore un autre non-jeûneur qui se cache derrière la liberté d'expression !

 

Les affaires Zoheïr Aït Mouhoub et Saber Saïdi éclairent pourtant sur ce qu'il faut bien appeler une brusque métamorphose despotique et mafieuse du régime. Elles symbolisent ces abus «nécessaires», préliminaires et indispensables à l'établissement d'un nouveau pouvoir totalitaire dont il faut craindre qu’il ne soit sanglant.

 

Le régime de Bouteflika, effrayé par les changements politiques au Maghreb et dans le monde arabe, arcbouté sur le trône, se transforme ouvertement en association secrète aux redoutables ramifications, et qui ne répugne pas à user de moyens illicites pour servir ses intérêts.

 

Pas une seule voix, en dehors de celle, solitaire, des militants de droits de l'homme, pour s'inquiéter de ce que Zoheïr Aït Mouhoub ait été molesté à une brigade spéciale, qui ne dépend pas de la police nationale, mais de structures parallèles ! Un État dans l’État ! Pas un seul article pour s’indigner que Saber Saïdi ait été enlevé de nuit le 13 juillet et retrouvé le 26 juillet à la prison d’El Harrach ! C’est l’État-gang, nourri d’ambition autocratique et de prébendes, et dont la base n’est autre que cette société de collusion, avec ses intellectuels avisés, ses entrepreneurs introduits, ses journalistes satellitaires et ses fonctionnaires acolytes, celle-là qui s’est enrichie à son contact et qui fait corpus avec lui, pour le meilleur, pardi ! Toujours pour le meilleur ! Ecoutez-la répéter à propos du journaliste d’El-Watan et du blogueur Saïdi : «Ils le méritent ! Ils sont allés trop loin ! On ignore les dessous de l'affaire»... J’ai connu cela, avant, pendant et après mon emprisonnement. «Il est allé trop loin...» Jusqu’où va-t-on trop loin en journalisme ? On pourrait convenir, certes, que toute liberté a ses limites.

 

Encore faut-il qu’elles soient librement reconnues. Huit ans après, je découvre qu’«aller trop loin» avait seulement consisté à oser mettre, «trop tôt», son nez dans le monde de l'argent sale, c'est-à-dire dans le côté cour, le plus malsain, du pouvoir algérien.

 

«Aller trop loin, pour le Matin, aura été de parler, cinq ans avant d’autres, de l'argent du pétrole dépensé entre amis, de Sonatrach livrée à la prédation d’un certain Chakib Khe-lil et d’un certain Hemche, natif de Hennaya, près de Tlemcen, une bourgade qui élit aux meilleurs destins puisque c'est le village natal du père de Bouteflika, Hemche aujourd’hui recherché par la justice algérienne mais qui, à l’époque, n’hésitait pas à utiliser cette même justice algérienne pour nous faire condamner ! Aller «trop loin» consista, en fait, à révéler, quelques années trop tôt, les frasques de la société mixte algéro-américai-ne, Brown and Root Condor, BRC, une joint-venture entre Sonatrach (51%) et la compagnie du vice-président américain Dick Che-ney, Halliburton, dirigée par un autre natif de Hennaya, Moumène Ould Kaddour, et qui finira en prison !

 

Alors cher confrère Zoheïr Aït Mouhoub, jusqu’où va-t-on trop loin en journalisme ? Te voilà face à cette communauté d'esprits travestis qui considère la presse libre comme un acquis embarrassant, un peu comme un «péril démocratique» qui hypothéquerait les positions acquises, les amitiés de cour et les avantages de l'entregent. Elle ne veut rien connaître de ce qui serait une information de trop.

 

Ils redoutent de faire l'affront aux puissants que de s'informer sur leurs intrigues. Et c'était juste pour rire qu'ils revendiquaient l’alternance démocratique. Maintenant qu'il est établi que le clan Bouteflika s’ingénie à assurer un quatrième mandat, ils décrètent la blague ennuyeuse et rappellent que les plaisanteries les plus courtes ont toujours été les meilleures.

 

Oui, confrère, ce que cette collectivité de faux aristocrates exige de sa presse, ce n'est point un journalisme d'éclairage mais un journalisme d'ornement, rassurant par ses demi-vérités, complice par ses demi-mensonges et qui se prendrait à l'heure des cocktails pour accompagner les mondanités.

 

Ce journalisme d'élite bien pensante qui souhaite tout savoir du superflu et surtout rien de l'essentiel, rien de ce qui pourrait briser des amitiés de sérail, rien de ce qui pourrait compromettre les ambitions, serait sommé de n’informer que sur les futilités indispensables pour les dîners en ville. Le journalisme qu'ils suggèrent de pratiquer serait un métier pédant où l'on passerait la moitié de sa vie à parler de ce qu'on ne connaît pas et l'autre moitié à taire ce que l'on sait.

 

L’affaire Zoheïr Aït Mouhoub, par l’indifférence qu’elle suscite, vient-elle nous rappeler que la presse comme la société civile, gan-grénées par la fougue corruptrice du pouvoir, ne sont pas en état de faire face à la métamorphose despotique et mafieuse du régime. Voilà presque six ans que l’une comme l’autre - à quelques exceptions près - ont opté pour servir d’éléments de décor de la démocratie de façade. Le pouvoir a su utiliser la presse pour remodeler, de façon plus globale, l’autoritarisme et le mettre à l’heure de la démocratie. Créer l’illusion du pluralisme en assurant la représentation médiatique d’une réalité politique inexistante.

 

«Nous avons une presse libre !», entend-on dire nos dirigeants. Ils avaient compris que dans un monde où la démocratie et les élections étaient devenues la seule source de légitimité reconnue, dans ce monde-là, la violence, en tant qu’instrument de perpétuation du pouvoir, avait fini par acquérir un prix trop élevé.

 

Le mieux c’était d’utiliser la presse plutôt que de la frapper, l’utiliser pour remodeler, de façon plus globale, l’autoritarisme et le mettre à l’heure de la démocratie.

 

Créer l’illusion du pluralisme et offrir à admirer au monde, une «démocratie sans représentation» avec ses partis sans militants et ses initiés bien rémunérés qui se font passer pour les opposants les plus bruyants au régime.

Nous avons goûté à la répression douce et apprécié la manipulation dure.

 

Le régime va persuader la presse indépendante de l’avantage qu’elle aurait à se convertir en régiments de tirailleurs à son service. En été 2006, j’entendais encore M. Djiar racoler avec talent : «Le temps du conflit avec la presse doit se terminer et je l’invite désormais à être aux côtés du pouvoir et pas contre lui.»

 

Aux côtés du pouvoir ? Avec ses ors, ses attributs et ses honneurs ? Devenir un homme de cour ? Monsieur Djiar savait que sa machiavélique proposition était infaillible : il existe peu d’esprits qui ne se laisseraient griser par la proximité de l’escorte royale. Il va alors entreprendre de transformer les dirigeants des journaux libres en acteurs de la démocratie de façade en leur faisant miroiter la périphérie du pouvoir !

 

C’est le fameux brainstorming ! Le ministre eut, dès le mois de mai 2006, l’idée pernicieuse d’organiser ces stériles conciliabules avec les dirigeants de la presse, des séances de réflexions communes, absolument inutiles mais dont l’insigne avantage fut de donner au directeur du journal l’illusion d’être consulté pour l’élaboration d’une stratégie de pouvoir. Le brainstorming devint vite un vocable à la mode et son charme conquit les salles de rédaction où les journalistes n’avaient plus que ce terme à la bouche : «C’est l’heure du brainstorming avec le rédacteur en chef !» Puis s’enchaînèrent toutes sortes de subterfuges loufoques, afin d’intégrer les dirigeants de la presse dans l’arriè-re-cour du pouvoir.

 

Le plus cocasse aura été ce match de football entre les directeurs de journaux et les ministres de Bouteflika, une pathétique chorégraphie entre gens bedonnants, organisée, comble de l’infamie, en commémoration de la Journée internationale de la liberté de la presse !

 

Nos journaux vont perdre la voix virile qui fit leur réputation. Ils vont éviter les sujets qui fâchent le pouvoir et se prêter aux «thèmes sublimes», les reportages «pipoples», sombrant dans les vieilles ornières du détail pittoresque et de l’érotico-commercial, l’obsession dégradante de plaire à n’importe quel prix, l’amputation de la vérité par «nécessité commerciale», la flatterie des bas instincts, l’accroche sensationnelle, la vulgarité typographique ...

Créée au lendemain des émeutes populaires d’octobre 1988 avec la mission de porter la plume dans la plaie, la presse de mon pays allait se transformer en se reniant.

 

En quelques mois, elle succombera aux deux vices fatidiques, l’appétit de l’argent et l’indifférence à la grandeur, pour reprendre la belle formule camu-sienne d’un vieux confrère.

 

Elle était née avec une vocation fan-tasmée : servir la quête de justice, en s’imposant comme le plus moderne, le plus démocratique des porte-voix. Elle grandira avec les dérives redoutées : la subordination au pouvoir de l’argent, l’obsession de servir les puissants, le souci de plaire et non d’éclairer, l’asservissement au mensonge au prix de mutiler la vérité... Elle tombera au final dans le péché irrémédiable : le mépris de ceux à qui l’on s’adresse..

 

Alors, pour tout cela, je crois bien que l’affaire Zoheïr Aït Mouhoub est de celles qui rappellent qu’il y a un temps pour s’égarer et un autre pour payer.

 

M. B.

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